Communiqué de presse :
Dans les bureaux de La Criée, par une fin d’après-midi de juin caniculaire.
A. – Vous ne trouvez pas qu’il fait trop chaud pour écrire un communiqué de presse ?
S. – Oui, beaucoup trop ! En plus, Yann dit qu’il est aussi trop tôt pour savoir précisément de quoi sera faite son exposition, vu qu’elle n’ouvre que dans trois mois.
M. – On sait quand-même deux ou trois choses sur Yann et cette exposition…
S. – Tu as raison. On pourrait commencer par dire que Yann est un artiste conceptuel érudit et plein d’humour et qu’en ce moment ses cheveux font une grosse boule frisée autour de sa tête ! Je ne l’ai pas vu depuis quinze jours — il y a deux semaines, ça allait encore —, mais Julien Bismuth qui est allé chez lui avant-hier soir m’a raconté qu’ils dînaient à l’ombre d’un arbre dans son jardin et que plein de feuilles restaient accrochés à ses cheveux…
A. – Tu veux rire ?! Ton anecdote me fait penser à cet autoportrait de Yann que j’ai vu dans l’exposition de Bruno Peinado au Hangar à bananes à Nantes il y a deux ou trois ans : une série de quatre estampes dans lesquelles il détourne le logo des shampooings Schwarzkopf. Tu vois ce logo à tête noire ? Et bien, il l’a modifié pour y insérer son propre profil dans quatre états successifs de la repousse de ses cheveux.
M. – Ce n’est pas qu’une simple coupe de cheveux alors, c’est une attitude !
S. – Un détournement et une réinterprétation d’un modèle en tout cas. Comme il aime à le faire ! Peut-être aussi une forme de laisser-faire…
A. – Et pour son exposition à La Criée, il s’intéresse aux clavecins, c’est bien ça ?
M. – Oui, après la domestication des cactus et des chiens, il a jeté son dévolu sur le clavecin. Il nous expliquait qu’il est captivé par l’histoire de cet instrument dont le son aurait été perdu puis réinventé tout au long du XXe siècle après une éclipse d’une centaine d’années.
S. – Son exposition s’inscrit dans la suite de celle qu’il a montée au printemps dernier dans sa galerie à Paris. Je me rappelle y avoir vu un piètement de clavecin de style Louis XVI, suspendu à la manière d’une marionnette à fils. Il me disait l’autre jour qu’il aimerait qu’un claveciniste puisse interpréter dans le vide des pièces baroques sur cet instrument fantôme. Il parlait aussi d’adapter son installation sonore réalisée à partir du disque Vérité du clavecin, en recourant à du matériel de très haute-fidélité. Et puis, on est à près sûr qu’il sera aussi question d’animaux fidèles, sinon domestiques.
M. – Ça me fait penser au label « La Voix de son maître » avec ce chien qui écoute au pavillon d’un vieux gramophone !
A. – Ah, je comprends mieux maintenant pourquoi il y aura un clavecin et un chien sur le visuel du carton d’invitation et de l’affiche…
S. – C’est encore une drôle d’histoire : un jour, Yann chattait sur Internet avec la photographe finlandaise Elina Brotherus, après avoir posté sur son compte Facebook que son exposition du printemps dernier dans sa galerie s’intitulerait Harpsichord Suites for Still Dogs. Et là, Elina lui apprend qu’elle possède non seulement un chien – ce que Yann savait puisqu’il figure parfois dans ses photos –, mais aussi un clavecin qu’elle a assemblé elle-même à partir d’un kit. Peu après, Elina a tagué une photo d’elle avec son clavecin sur son compte Instagram pour le lui montrer. Évidemment, cela a beaucoup amusé Yann qui lui lui a suggéré, avec la facétie qu’on lui connaît, de faire un autoportrait d’elle avec son clavecin et son chien. Elina l’a fait et la photo est très réussie. Quand Yann m’en a parlé et me l’a montrée, on s’est tout de suite dit que, par rapport à toutes ces histoires autour des récits, réels ou imaginaires, que nous développions cette année, mais aussi par rapport à son travail en général (sa position de lecteur et d’usager des productions d’autres auteurs, les questions qu’il pose quant à l’emprunt, la réinterprétation et la relecture, etc.), cela tombait sous le sens d’utiliser cette photo comme visuel de son exposition personnelle ! Et Elina a dit oui !
A. – J’adore ! Et bien voilà, on les tient les grandes lignes de notre communiqué ! Maintenant, si ça vous dit, on saute dans un train pour aller piquer une tête à Saint-Malo ? Parce qu’ici, il fait vraiment trop chaud…
Elles éteignent leurs ordinateurs et quittent la pièce une bouteille d’eau à la main.