Table ronde organisée par Mildred Duran et Sandrine Ferret le jeudi 22 avril, 10h00-14h00, salle recherche UFR ALC, bâtiment B, Université Rennes 2.

Jeudi 22 avril, 10h00-14h00:

Lien zoom : https://zoom.us/j/91880495563?pwd=QWFRckE4OTFnTjE3Z2RHalh1dldMZz09

L’Amérique latine, l’une des régions les plus inégales quant à l’accès aux droits et aux revenus, a été transpercée en 2019 par des vagues de protestations massives de formes diverses qui ont éclaté au Venezuela, Pérou, Honduras, Porto Rico, Nicaragua, Chili, Bolivie, Équateur et Colombie. Indignées par des problèmes nationaux spécifiques, par la stagnation et les dysfonctionnements économiques et politiques, par la corruption, ou par les inégalités socio-culturelles, ethniques et les problématiques environnementales, des multitudes entreprennent des luttes de masse contre le pouvoir politique (droite néolibérale) alimentant l’intense polarisation politique de la région. La réponse des autorités à ces diverses manifestations citoyennes dépasse les mécanismes de l’entente et du dialogue en écrasant, avec une violence inouïe exercée par les forces de l’ordre, les groupes contestataires.

Dans ces contextes contradictoires, nous voulons souligner le rapport à l’art face à cet imaginaire de la résistance et de l’expérience de la lutte contestataire. Quel est le rôle de l’artiste face à des revendications sociétales communautaires mettant en jeu les conditions d’existence précaires, la corruption du pouvoir politique, les dérives du modèle néolibéral, les problématiques structurelles environnementales, les rapports sexistes, raciaux, homophobes et les communautés LGBTQIA+ ? Comment les artistes interagissent-ils dans les luttes qui se développent et évoluent dans des contextes marqués depuis un an par la crise d’enfermement liée à la catastrophe pandémique du Covid-19 ? Quelles sont les stratégies et les pratiques discursives adoptées par les révoltes récentes plus précisément au Chili, en Colombie, au Brésil ?

Pour cette journée nous avons choisi de présenter différentes études de cas situées dans ces trois pays, il ne s’agira pas de faire un état des lieux exhaustif sur la question, plutôt de parcourir et d’analyser des actions artistiques menées récemment sur ces territoires en résistance. Quelle est la réponse de l’art face aux excès policiers et des forces de l’ordre restant en totale impunité et occasionnant non seulement des décès, mais aussi des mutilations physiques (yeux éborgnés, mains arrachées, déformations faciales) chez les manifestants de différentes générations ?

Dans le cadre de ces diverses luttes citoyennes, comment l’art peut-il contribuer à apaiser cette lourde atmosphère sociétale délétère et redonner de l’espoir à ces populations déçues et furieuses vis-à-vis de leurs conditions de vie, des mauvaises politiques et des agissements de leurs classes politiques ?

[1] Quelques exemples de ces luttes de résistance depuis les années 1990 peuvent être cités comme le mentionne le sociologue vénézuélien Edgardo Lander : el Caracazo (1989) ; les mouvements indigènes équatoriens (1990), les manifestations indigènes en Bolivie (1990) ; le sommet de la terre à Rio de Janeiro (1993) ; la rébellion zapatiste (1994) ; la rencontre internationale pour l’humanité et contre le néolibéralisme (1996) ; la guerre pour l’eau à Cochabamba (2000) ; le Forum mondial social (2001)

[2]« … de la vida misma, precisamente porque la vasta poblacion implicada percibe, con intensidad creciente, que lo que esta en juego ahora no es solo su pobreza, como su sempiterna expérience, sino nada menos que su propia sobrevivencia », (Quijano, 2011, p.84).


Programme : 

10h00 : Présentation de la journée, Mildred Duran, Sandrine Ferret.

10h15 : Sandrine Ferret : Alfredo Jaar, Les oubliés de l’histoire.

Entre 1994 et 2000 Alfredo Jaar, développe son projet sur le Rwanda, dans ce travail il s’interroge sur la manière dont les médias occidentaux ont durant plusieurs semaines passées sous silence ce drame qui a fait plus de 800000 victimes, puis comment ils ont stigmatisé celles-ci lorsqu’ils ont finalement décidé de révéler l’ampleur du drame. Pour Alfredo Jaar, l’image médiatique manque à informer, ce à double titre, parce qu’elle est absente quand il s’agit de parler des populations du sud, et parce qu’elle déborde de présupposés colonialistes quand elle est affichée. Pour tenter de résister à cela Alfredo Jaar développe dans The Rwanda project une stratégie d’effacement de l’image, au profit de la lumière, du texte et de la mise en scène. 10 ans plus tard, appelé pour rendre hommage aux disparus de la dictature chilienne l’artiste reprend cette stratégie, mais ici sa posture est différente, Chilien, lui-même victime de la dictature de Pinochet, il entreprend de restaurer une mémoire collective dans un musée appelé : Musée de la mémoire et des droits de l’homme.

10h45 : Javier Dominguez : Art et Politique : Esthétique de la révolte dans le Chili contemporain.

Depuis octobre 2019 le Chili connaît une ère de révoltes sans précédents, en refus d’un modèle économique social et culturel étant perçu comme caduque. Dans un climat de violences policières, ainsi que des violations massives et soutenues des Droits Humains, ces dernières révoltes semblent marquer un point de non-retour. Dans ce contexte de changement, de destruction créative et de mouvement perpétuel des schémas imposés, quelles sont les manifestations artistiques et culturelles prédominantes dans cette période ? Cette rencontre vise à partager un point de vue sur la question esthétique des événements de transformation en cours.

11h15 : Elodie Chabaud : L’intervention artistique collaborative comme manifestation de résistance au Chili durant le soulèvement populaire de 2019-2020 : les propositions de Las Tesis et de FUEGO Acciones en Cemento.

Depuis le mois d’octobre 2019, le Chili vit une crise sociopolitique qui débute par un soulèvement populaire massif en réponse aux inégalités qui touchent tous les secteurs de la société, à la montée de la répression policière, mais aussi à une justice sociale inopérante. Dans ce contexte, nous avons pu observer un grand nombre de manifestations artistiques dans l’espace public, comme formes d’expression des idées contestataires, émanant souvent de processus d’organisation collaborative. Comment les collectifs artistiques investissent-ils l’espace public urbain pour mettre en lumière les revendications du peuple, et rompre avec les formats habituels d’organisation de l’intervention artistique ? Quels échos ces démonstrations de résistance ont elles suscité auprès de la population locale, nationale et internationale ? Nous analyserons deux interventions artistiques pluridisciplinaires présentées à Valparaíso, qui placent le collectif aucœur de l’espace public et donnent voix aux luttes des femmes et groupes dissidents.

11h 45 : Échanges

12h-13h Pause

13h : Mildred Duran : Déceler, convoquer, partager, quelques stratégies d’artistes et leur rapport aux mouvements sociaux en Colombie.

En partant de différents types d’actions collectives et de ce qui caractérise ou définit les mouvements sociaux (Della Porta et Diani, 2006), il est question d’étudier ce qui anime les artistes à s’interroger sur les rapports entre art et politique, à interagir avec des mouvements sociaux ou avec des initiatives de protestation sociale, à comprendre les luttes multiples qui les provoquent dans un contexte baigné par la violence chronique du conflit armée en Colombie. Qu’est-ce qui pousse les artistes à s’intéresser aux luttes sociales ou à déclencher des projets d’action collective spécifiques ? Au-delà de la simple contestation ou de la provocation, quelles sont les stratégies que ces artistes privilégient dans leurs pratiques ? Quels sont les mécanismes qu’ils adoptent afin de créer, de nouer et de consolider des rapports et des expériences collectives avec différentes populations ? Nous tenterons de répondre à ces questions à travers l’analyse des propositions de Raphaël Faön et Andrés Salgado, de Doris Salcedo et de Liliana Angulo qui convoquent, partagent ou invitent à une expérience et une réflexion critique en dépassant les limites esthétiques.

13h30 : Camille Malderez : Résurgence du mouvement anthropophage.

À partir du numéro spécial de la revue The Brooklyn Rail, qui a consacré son numéro ce mois-ci au mouvement anthropophage, demandant notamment à 8 artistes de créer en repensant le mouvement anthropophage en résistance à la situation actuelle, cette communication interrogera la résurgence du mouvement anthropophage dans l’actuel contexte politique Brésilien. 

14h Échanges et clôture

Élodie Chabaud est chargée de l’action culturelle au sein de l’association L’Âge de la tortue (Le Blosne, Rennes), enseignante et chercheuse indépendante. Diplômée en interculturalité et en gestion de projets culturels avec un mémoire de Master sur le modèle d’action culturelle du Parque Cultural de Valparaíso, Chili (Université de La Rochelle). Elle a travaillé de 2013 à 2019 en tant que chargée de projets culturels et de médiation artistique au sein de diverses structures d’éducation populaire et de diffusion artistique à Valparaíso (Balmaceda Arte Joven, Puerto de Ideas, Parque Cultural de Valparaíso). En 2019, elle a développé un projet participatif de médiation artistique autour des arts visuels centré sur les droits culturels des séniors dans le cadre du projet « Gaudí en Valparaíso ». Récemment installée à Rennes, elle s’intéresse particulièrement à la mise en pratique des droits culturels, aux dynamiques socio-culturelles liées à l’art, et aux mouvements sociaux et féministes du Chili.

Mildred Durán est historienne de l’art, critique d’art et commissaire d’exposition. Ses recherches portent sur l’art et violence, les rapports interculturels et les pratiques performatives en privilégiant l’étude des expressions de l’art extra-occidental. Chargée de cours en Histoire de l’art au Département d’arts plastiques à Rennes 2, elle est chercheuse associée à l’EA 7472 PTAC et est membre du comité de rédaction international de la revueInter art actuel.

Sandrine Ferret est professeure des universités à Rennes 2, directrice de l’EA 7472 Pratiques et Théories de l’Art Contemporain, ses travaux portent sur la photographie document, ils interrogent en particulier son rôle politique dans les processus de restauration de mémoires collectives défaillantes.

Javier Dominguez a une formation de plasticien à l’université Rennes 2, il est aussi mécanicien de bicyclettes. De nationalité chilienne, il questionne, depuis le début de son parcours, les limites plastiques de la danse. Parmi ses recherches on trouve 6665, EFPOFIFION(2013) ; la chorégraphie Étude Publique Nº2, (Midi pile, 2015) ; Trois Étalons, FACT’ION – PERFORMANCE, (2018). Il a été le commissaire de l’exposition itinérante Valparaíso-Caminante(2009-2011) ; co-commissaire de l’exposition Un peu de ce n’importe quoi nécessaire(2014), co-commissaire de l’exposition monographique Harun Farocki, Screenshot, (2017) entre autres.

Depuis mars 2019, il est directeur audiovisuel et chercheur au sein du projet El Cuerpo Es Presente, dont le sujet principal est la question de l’improvisation en danse. Lors des révoltes chiliennes d’octobre 2019, et en conséquence de ces dernières, il participe à la création de l’École Populaire d’Arts et Métiers d’Olmué au Chili, qu’il dirige jusqu’en octobre 2020. Actuellement il travaille à la création et à la direction artistique de l’œuvre de danse Querido Antropoceno, financée par le Fond Chilien de la Culture (FONDART).

Camille Malderez est actuellement doctorante à l’EA 7472 PTAC, sa thèse Regards croisés France Brésil: Échanges et influences des mouvements anthropophages cherche à établir si ce mouvement conceptuel brésilien connait des résurgences dans les pratiques artistiques contemporaines, en particulier dans le contexte politique actuel du Brésil. Sa codirectrice de thèse Regina MELIM, est professeure à l’UDESC, à Florianopolis au Brésil.