En écho à l’exposition personnelle de Bruno Elisabeth « La route de la Voie de la liberté » au, l’équipe de recherche PTAC organise le jeudi 9 novembre 2017 à l’auditorium des Archives Départementales une journée d’études consacrée à la question de la représentation des territoires soumis aux violences guerrières. Cette journée est organisée en partenariat avec le Département d’Ille-et-Vilaine – Service Action culturelle, Le Village – site d’expérimentation artistique et le Phakt – CentreCulturel Colombier.
Argumentaire
Si la guerre tue, la photographie, elle, est douée d’une capacité de sidération. Dans cette mesure, l’une et l’autre suspendent, figent l’instant. Dans leurs procédures, elles s’appliquent à maîtriser, à conquérir, à capturer et entretiennent un lien fondamental avec la mort. Forte de ce constat, cette journée s’organisera en deux temps.
Au cours de la matinée, il s’agira de questionner le pendant. Ces investigations s’attacheront aux moyens endogènes à l’appareil militaire (systèmes de visées, de reconnaissances, visions à distance, drones … ) qui permettent aux forces armées d’asseoir, par l’image, leur emprise sur les territoires. Nous questionnerons les dispositifs dont le but est d’assurer la précision dans la destruction, au risque de l’aveuglement, et de garantir l’empêchement. Nous interrogerons également les différents canaux de diffusions ou les mécanismes de retentions et leurs visées parfois contradictoires. De la photographie de presse aux images télévisuelles, en passant par les prises de vues réalisées par des civils confron- tés à la tourmente ou celles en provenance des acteurs du conflit, se dégagent des images soumises aux dangers, à la fois inscrites dans l’instant et renvoyées à un futur qui tend mainte- nant à se compresser radicalement.
L’après midi s’orientera sur la question des territoires pacifiés, nous nous pencherons sur les modalités de représentation de l’après . Qu’il s’agisse de travaux documentaires, d’albums touristiques revenant sur les traces des champs de batailles ou encore de travaux institutionnels dressant l’inventaire des pertes et destructions, ces œuvres procèdent de choix qui s’opposent parfois radicalement. Pour certaines il s’agit de figurer directement la destruction. Par ailleurs les œuvres visent au contraire à montrer moins, pour évoquer plus violemment le spectre de la bestialité guerrière. De telles images suggèrent souvent bien plus qu’elles ne décrivent, elles manifestent la violence de manière moins descriptive que métaphorique. Il conviendra de discerner comment de tels travaux nous permettent d’appréhender ce qui perdure, ou s’efface, ce que la mémoire conserve ou ce qu’elle s’empresse d’éluder d’un conflit et d’apprécier les temporalités du retour au calme, au silence et à la paix.
Cette journée veillera donc à aborder un large spectre de représentations des territoires confrontés aux guerres passées et actuelles qui s’offrent comme de multiples terrains d’études, qu’investissent très largement les artistes.
Responsables scientifiques : Bruno Elisabeth et Anne Zeitz
Programme de la journée
9h15 > Accueil
9h30 > Ouverture par Bruno Elisabeth
Matinée : Territoires bouleversés – le pendant
Présentation : Marion Hohlfeldt
9h45 > Anne Zeitz (Université Rennes 2 – Dpt. Arts plastiques)
De la machine de vision au trauma – La guerre à distance chez Omer Fast
Dans Théorie du drone, Grégoire Chamayou montre que les opérateurs de drones militaires se trouvent dans une situation ambiguë non seulement à un niveau spatial, mais également moral. Dans certains de ses travaux récents, l’artiste israélien Omer Fast se concentre sur cette ambiguïté qui émerge des guerres actuelles menées à distance en s’intéressant particulièrement à la figure du militaire. Omer Fast écoute, interprète et met en scène des acteurs de la guerre contemporaine dans leurs rapports aux cibles et aux territoires visés et aux technologies appliquées. La représentation des figures et des territoires des guerres menées à distance proposée par Fast se fait à travers le prisme du trauma qui sera développé dans cette communication.
10h15 > Marie-Dominique Bidard (Université de Montpellier)
Images de l’actualité et cartographie des conflits
Aujourd’hui, les flux d’images nous submergent ; une image en dévoile et en recouvre une autre. Les conflits, les catastrophes se déversent sur nos écrans ; la presse et les sites d’information sont des vecteurs importants de cette présence/obsolescence de la photog- raphie d’actualité. Le champ médiatique représente (ou pas) des guerres, des conflits et des soulèvements, leur accordant alors légitimité et visibilité. Pour interroger les points soulevés, nous étudierons un corpus de photographie de presse, celui du World Press Contest, marqueur intéressant et révélateur des choix et des sélections des grands médias. A rebours de ces représentations, nous nous attacherons à comprendre les straté- gies d’artistes, (Alfredo Jaar et Bruno Serralongue) dévoilant les opérations de sélections, les mises en lumière et les oublis des médias.
10h45 > Pause
11h00 > Nathalie Boulouch (Université Rennes 2 – Dpt. Histoire de l’art)
Champs de mémoire photographique de la Grande Guerre
En 1915 et 1917, Jules Gervais-Courtellemont a réalisé un important corpus de photogra- phies autochromes sur les champs de bataille de la Marne et de Verdun. Publiées ou proje- tées, ces images en couleurs frappent par la distance qu’elles établissent en représentant l’après des combats. Cent ans plus tard, elles entrent en résonance avec la pratique de la canadienne Dianne Bos travaillant à son tour dans les paysages de la Grande guerre.
11h30 > Discussion
12h00 > Déjeuner
14h00 > Accueil
Après midi : Territoires pacifiés – l’après
Présentation : Bruno Elisabeth
14h15 > Nawel Sebih (Université Paris III – IRCAV)
La représentation des territoires en guerre : entre vide et brouillard
Bon nombre des représentations cinématographiques des territoires en guerre veillent paradoxalement à ne rien montrer des événements tragiques dont elles se sont pourtant inspirées. Il semblerait en effet qu’au coeur de ces images traumatiques se trouve ainsi le schème d’une représentation qui s’accomplit en se neutralisant, dans sa disparition même.
14h45 > Florent Perrier (Université Rennes 2 – Dpt. Arts plastiques)
Outre le désert des corps : Les Gisants de Agnès Geoffray
Intitulée Les Gisants (2015), l’œuvre proposée par Agnès Geoffray a pour matière un fond d’archives photographiques inédites dues à Gaston Chérau qui, en 1911, enregistra par l’image fixe les morts d’une guerre éloignée de colonisation, des corps meurtris anonymes pour lesquels, par l’effet d’une installation, elle a comme créé une sépulture posthume. Contenue et encadrée par un fragile cocon de soie, la violence meurtrière gagne là un écrin où l’individu sur l’image, même méconnaissable et à jamais soldat inconnu, vient pourtant affleurer, trace discrète d’une humanité préservée par delà toute disparition, tout décharnement. C’est à interroger comment ces peaux de soie ou ces pellicules d’être viennent à elles seules former un territoire de mémoire, avec leurs plis, leurs voilements ou leurs ombres portées, que sera consacrée cette intervention.
15h15 > Pause
15h30 > Olivier Saint-Hilaire (EHESS)
« Clère & Schwander », une histoire photographique du désobusage
Les déchets de guerre (les munitions non explosées des deux guerres mondiales) n’en finissent pas de « polluer » le quotidien des populations des anciens champs de bataille. Comment vit-on avec cette présence ? Comment la photographie, à travers le cas d’une usine de désobusage oubliée, peut-elle contribuer à écrire l’histoire et parler de la persis- tance de la guerre dans l’espace et dans le temps.
16h00 > Discussion
Visite commentée de l’exposition La route de la Voie de la Liberté
70 ans après les événements, ce travail photographique documentaire porte un regard contemporain sur la voie symbolique, à vocation commémorative, qui retrace l’avancée des troupes de libération américaines suite au débarquement du 6 juin 1944.