Cet ouvrage n’est ni un guide ni un dictionnaire de films de zombies. Il se propose plutôt de songer le cinéma par le prisme de ces ombres étranges qui n’ont de cesse de revenir s’entasser dans le champ, de suite en suite, de saga en saga. Le mort-vivant pourrait être considéré comme un chaînon cinématographique manquant, des funambules catastrophistes du burlesque aux losers du film noir ; des héros démotivés du Nouvel Hollywood aux personnages sans repères du cinéma contemporain non horrifique. Ce maillon en état de putréfaction plus ou moins avancé est moralement insituable : ni bienveillants, ni réellement malfaisants, ces cadavres errants traversent le cadre et, par leur manque de volonté, mettent les récits en faille. Ces corps contradictoires se comprennent comme des fissures et leur apparente neutralité accompagne le déclin des idéologies, notamment hollywoodiennes. Organisme essentiellement pluriel, les zombies font masse dans tous les sens du terme. Par leur ordinarité, leur banalité funèbre – de simples « voisins morts » pour reprendre les termes de George Romero –, ils imposent de mettre à mort le premier plan, c’est-à-dire le star-system et les croyances qui l’accompagnent. N’importe qui peut jouer un mort-vivant ; plus encore, ce dernier doit être n’importe qui. C’est la mise en avant de l’arrière-plan qui se manifeste ici, comme un horizon funeste dévorant les hiérarchies.
Publication | Karim Charredib, « Zombies ! Une lecture corrompue du cinéma »
Publication de Karim Charredib, aux éditions Rouge Profond (Aix-en-Provence, coll. "Raccords", 2022)