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L’espace-temps de la fiction

Colloque international, 21-22 novembre 2024

Université de Bourgogne, Dijon, France

Après deux colloques respectivement intitulés « Temporalités alternatives » (UQAM, mai 2023) et « Maître des horloges ? Pouvoir, autorité et temporalité(s) en culture de l’écran » (Université Paul Valéry Montpellier 3, septembre 2023), ce nouveau colloque du cycle sur la temporalité s’inspire de ce qu’il est convenu d’appeler le “spatial turn[1]”, qui vise à mettre l’accent sur l’espace et le lieu plutôt que sur le temps ou la chronologie dans les sciences humaines et sociales. L’objectif sera d’étudier la nature inextricable de la relation entre l’espace et le temps. On s’intéressera tout particulièrement à la façon dont cette relation est dépeinte dans la fiction. Bien que des philosophes comme Gaston Bachelard (La poétique de l’espace) et des auteurs comme Georges Perec (Espèce d’espaces) aient analysé et catalogué les espaces de nos vies, espaces et lieux sont également des témoins du temps de l’écriture, que ce soit dans les références in-texte de Perec à des projets en cours, ou dans l’accent mis par Bachelard sur les traditions passées ou les représentations de l’espace dans notre perception actuelle de celui-ci. Comme les strates géologiques, les espaces et les paysages montrent le présent, mais sont construits sur le passé et laissent entrevoir l’avenir. La nature fondamentalement palimpsestuelle de l’espace, liée à l’imbrication entre espace et temps, est soulignée, par exemple, par Rémi Ailleret : “Le présent d’un site est le résultat de la sédimentation des effets du temps, des pratiques, des cultures qui s’y sont déployés. Dans cet ensemble résonnent des échos, se détachent des images. Ces signaux faibles ou forts sont, au même titre que sa réalité physique, constitutifs de l’identité du lieu. Capter ces échos demande la passion et la patience de l’archéologue[2].” (Ailleret 41).

L’importance de l’espace-temps, c’est aussi l’importance de la contextualisation de tout événement dans son espace, de tout espace dans son temps. Ainsi on pourrait penser au cinéma, où le rapport entre le temps et l’espace est intrinsèque au médium, puisque c’est le rythme régulier des images qui défilent qui donne l’impression de temporalité et d’espace hors-cadre, de trois dimensions. De ce point de vue, le fait que certains commencent à jouer avec la cadence d’image (par exemple Peter Jackson dans sa trilogie Le Hobbit) place la relativité au niveau du spectateur filmique. Dans les formes sérielles, la façon dont les réalisateurs jouent avec la temporalité séquentielle ou sérielle pose également la question du lien entre espace et temps. De même, la dilatation du temps inhérent à la suspension de non-crédulité, à l’immersion dans le récit (qui est devenu un phénomène de société avec l’idée du binge-watching), ou les théories de Philippe Hamon sur la nature du descriptif, essentiel à la création des lieux de récit, qui ralentit l’avancement de la trame, soulignent tous le lien inextricable entre le temps et l’espace. En littérature, la relation entre temps et espace a été décrite et théorisée d’un point de vue narratologique et même philosophique : les rapports de dilatation ou, au contraire, de contraction entre spatialité du texte et temporalité du récit ont fait l’objet d’analyse approfondies dans les travaux de Gérard Genette[3] ou de Paul Ricœur[4]. La théorisation de la « mise en intrigue » dans le volume II de Temps et récit, par exemple, ne peut être comprise sans une réflexion sur la spatialité du texte.

Par ailleurs, les nombreuses techniques permettant de brouiller les repères ou les attentes des lecteurs (ou des spectateurs) dans le domaine de la littérature ou des études filmiques et sérielles invitent également à une réflexion sur la nature codifiée des relations entre espace et temps dans différents médiums ainsi que sur la façon dont les artistes jouent avec ces codes pour surprendre ou dérouter le public.

Toujours dans le souci d’analyser l’utilisation ou le détournement des codes, on pourrait également s’intéresser aux genres littéraires reposant tout particulièrement sur la notion d’espace-temps et sur leur lieux-communs, que ce soit la science-fiction avec le voyage dans le temps proposé par H.G. Wells et ses héritiers, et les différentes façons où le voyage dans le temps se double d’un voyage dans l’espace, ou encore le genre dystopique, fondamentalement spatial comme l’indique son étymologie, mais qui a aussi partie liée à la temporalité : dans le genre dystopique et ses variations, le monde de l’avenir est surtout le reflet déformé des lieux qui nous entourent, créant souvent un effet d’inquiétante étrangeté ; dans certaines dystopies récentes, ce futur lugubre est déjà notre passé (par exemple la série The Last of Us, créée par Neil Druckmann et Craig Mazinet diffusée sur HBO en 2023, où la fin du monde intervient en 2003), ou tout simplement des textes dans lesquels le futur lointain est devenu notre passé, tel 1984). Le rétro-futurisme typique du steampunk est aussi un exemple de cette interdépendance du temps avec l’espace. Le rapport entre espace et temps soulève également la question du rapport entre réel et fiction : on pourrait ainsi examiner les stratégies de mise en texte ou en images d’espace-temps proches ou lointains à des époques diverses et leurs liens avec le contexte dans lequel elles sont utilisées (effets spéciaux, stratégies narratives, illustrations, bande dessinée ou roman graphique et leurs effets visuels…) en les considérant, si besoin, dans leur historicité (effets spéciaux datés, représentations exotisantes, etc.).

Nous invitons des propositions de communication d’environ 200/250 mots, en français ou en anglais, à envoyer à shannon.wells-lassagne@u-bourgogne.fr et à melanie.joseph-vilain@u-bourgogne.fr, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, pour le 1er février 2024. Tous les corpus sont possibles s’ils mettent en jeu un rapport à l’espace-temps : cinéma, romans, séries télévisées, jeux vidéo, bande-dessinées, performances, arts numériques, franchises transmédiatiques, objets hybrides entre autres.

The space-time of fiction

International conference, November 21-22, 2024

TIL Image et Critique/Individu et Nation

Université de Bourgogne,

Following two conferences respectively entitled « Temporalités alternatives » (UQAM, May 2023) and « Maître des horloges? Pouvoir, autorité et temporalité(s) en culture de l’écran » (Université Paul Valéry Montpellier 3, September 2023), this new conference in the cycle on temporality is inspired by the so-called « spatial turn », which aims to emphasize space and place rather than time or chronology in the human and social sciences. The aim is to explore the inextricable nature of the relationship between space and time. Particular attention will be paid to how this relationship is portrayed in fiction. Although philosophers such as Gaston Bachelard (La poétique de l’espace) and authors such as Georges Perec (Espèce d’espaces) have analyzed and catalogued the spaces of our lives, spaces and places are also witnesses to the time of writing, whether in Perec’s in-text references to projects in progress, or in Bachelard’s emphasis on past traditions or representations of space in our current perception of it. Like geological strata, spaces and landscapes show the present, but are built on the past and offer a glimpse of the future. The fundamentally palimpsest-like nature of space, linked to the interweaving of space and time, is underlined, for example, by Rémi Ailleret: « The present of a site is the result of the sedimentation of the effects of time, practices and cultures that have unfolded there. In this ensemble, echoes resonate and images stand out. These signals, both weak and strong, are just as much a part of the site’s identity as its physical reality. Capturing these echoes requires the passion and patience of the archaeologist » (Ailleret 41).

The importance of space-time is also the importance of contextualizing every event in its space, and every space in its time period. Cinema is a particularly apt example, given that the relationship between time and space is intrinsic to the medium, since it is the regular rhythm of the shifting images that gives the impression of temporality and space outside the frame, of three dimensions. From this perspective, the fact that directors are beginning to play with frame rate (like Peter Jackson in his Hobbit trilogy) gives the filmgoer a first-row seat to the relative nature of the spatial image being animated through temporal change. In serial forms, both literary and visual, the way artists play with sequential or serial temporality also raises the question of the link between space and time. Similarly, the time-expanding nature of narrative immersion inherent to the suspension of disbelief, or the more recent social phenomenon of binge-watching, echo Philippe Hamon’s theories on the nature of description as being both essential to the creation of narrative locations and at the same time slowing the advancement of the plot: all underline the inextricable link between time and space in fiction. In literature, the relationship between time and space has been described and theorized from a narratological and even philosophical point of view: the relationships of expansion or contraction between the spatiality of the text and the temporality of the narrative have been the subject of in-depth analysis in the works of Gérard Genette and Paul Ricœur. The theorization of « emplotment » (mise en intrigue) in Volume II of Temps et récit, for example, cannot be understood without reflecting on the spatiality of the text.

Furthermore, the many techniques used in literature, film and serial studies to blur readers’ (or viewers’) bearings or expectations also invite reflection on the codified nature of the relationship between space and time in different media, and on the way artists play with these codes to surprise or baffle audiences.

In analyzing the use or misuse of codes, we could also take a look at literary genres based on the notion of space-time and their traditions. Thus science fiction and its time travel trope proposed by H.G. Wells and his successors highlights the various ways in which time travel is coupled with space travel; likewise the dystopian genre is fundamentally spatial, as its etymology indicates, but is also linked to temporality, given that the world of the future it presents is above all a distorted reflection of the places that surround us, often creating an effect of unheimlich. In some recent dystopias, this gloomy future is already our past (e.g. the series The Last of Us, created by Neil Druckmann and Craig Mazin and broadcast on HBO in 2023, where the end of the world takes place in 2003), or simply texts in which the distant future has become our past (such as 1984). The retro-futurism typical of steampunk is also an example of this interdependence of time and space. The relationship between space and time also raises the question of the relationship between reality and fiction: we could thus examine the means used to create space-times both near and distant, literary or visual, and their links with the framework in which they are used (special effects, narrative strategies, illustrations, comics or graphic novels and their visual effects…), and if necessary foreground impact of their historical context (dated special effects, exoticizing representations, etc.).

We invite paper proposals of around 200/250 words, in French or English, to be sent to shannon.wells-lassagne@u-bourgogne.fr and melanie.joseph-vilain@u-bourgogne.fr, together with a short bio-bibliography, by February 1, 2024. All media are possible if they involve a relationship to space-time: cinema, novels, TV series, video games, comic strips, performances, digital arts, transmedia franchises, hybrid objects and more.