Appel à communications
« Le lieu commun est un peu comme le phénix. On n’en a jamais fini avec lui ; il ne cesse de renaître de ses cendres » lance en 1996 l’académicien Antoine Compagnon en ouverture d’une conférence intitulée « Théorie du lieu commun ». Par sa polysémie et ses dimensions rhétorique, littéraire et sociologique, le concept de « lieux communs » permet aux spécialistes de civilisation, de linguistique et de littérature de l’aire anglophone, aux américanistes, britannicistes, ou spécialistes d’autres régions de cette aire, de se retrouver autour de questions communes.
L’expression « lieu commun » peut s’entendre dans le sens littéral d’« espace commun », qu’elle porte sur des pratiques ou sur des théorisations. Elle comprend ici une dimension pratique qui précède souvent sa formulation théorique, dont témoignent les mobilisations actuelles autour des questions du climat ou de la démocratie participative, par exemple. Parmi les pistes d’exploration possibles, on notera l’apport des travaux sur la sociabilité. À travers la construction et la circulation des idées, des espaces et des pratiques, cette thématique fertile peut éclairer sur la formation des communautés, de leurs interactions, et de l’imbrication des rapports sociaux, De plus, elle touche directement aux enjeux liés aux tensions entre appartenance et exclusion, entre dedans et dehors, entre privé et public, entre individu et collectif. Elle interroge, au fil de l’histoire, les modalités et les mutations du « vivre-ensemble », de l’engagement civique et la naissance des pratiques démocratiques.
Les lieux communs peuvent désigner par ailleurs une tradition utopique qui vise à reconstruire sur une base démocratique et collective la vie linguistique, culturelle, sociale ou politique. De même, les travaux qui s’inscrivent dans les studies (regroupés autour de thématiques telles que le genre, le posthumain, l’appartenance d’espèce, le spirituel, ou encore la dimension postcoloniale) se trouvent en grande adéquation avec le thème des « lieux communs ».
Les lieux communs peuvent également s’entendre dans le sens d’images, de représentations ou de constructions mentales prenant naissance dans un contexte donné, façonné par et pour une société déterminée – ici, dans l’aire anglophone -, une société qui cherche à se définir elle-même. Ils évoquent alors une conception critique des topoi, qui s’ancre dans la tradition aristotélicienne, exposant la circulation des idées reçues ou consensuelles, et des formules toutes faites, mais ouvrant aussi, plus généralement, sur une possible considération de questions comme la banalité, les clichés, les stéréotypes ou l’ordinaire. Dans son acception courante, le terme a ainsi souvent pris un sens péjoratif. Dans la création artistique qui vit, depuis l’époque romantique, sous le régime de la singularité, le « lieu commun » a longtemps été ressenti comme disqualifiant. Donne-t-il pour autant naissance à des représentations nécessairement préconçues et figées ? À partir des années 1960, un double renversement relance le débat : les artistes se révoltent contre la dictature de l’originalité et le concept se trouve replacé, par l’idéologie de l’avant-garde, au centre névralgique de la création.
Or, le lieu commun serait-il menacé de disparition ? C’est ce que suggère Pascal Ory, auteur de la préface à l’ouvrage Lieux communs. L’art du cliché, selon qui : « il se pourrait bien qu’on en fût à l’extinction du lieu commun. L’hypothèse postmoderne ruine de l’intérieur la religion culturelle. » Mal aimé et mal compris, le « lieu commun » constitue pourtant le ciment discursif indispensable à l’existence d’un lien social : il enregistre ce qui permet le partage. Aussi pourrait-on s’interroger sur les « images et constructions mentales » qui caractérisent l’espace culturel anglophone, tout en examinant, le cas échéant, la spécificité de leur contexte et leur évolution au fil du temps. À la suite de Pascal Ory, on pourrait également poser la question de ce qu’il en est aujourd’hui et si, comme le suggèrent les auteurs de l’ouvrage cité, les lieux communs de cette sphère anglophone « s’affirment comme le matériau crucial du geste créateur. » La notion de « lieu commun » ne semble en effet avoir retrouvé une place prépondérante dans le paysage de la critique que récemment, avec la réhabilitation de la rhétorique au sein des études littéraires.
En retour, c’est aussi la notion de « commun » dans sa relation au « lieu » qui pourra donner matière à analyse, comme évoqué plus haut, le lieu créant le lien. Comme le suggère Etienne Tassin dans son article « Espace commun ou espace public », la pensée du commun rejoint souvent un fantasme fusionnel qui est tout à la fois menace et nécessité : menace de dissolution de la différence dans l’un, nécessité de la rencontre de l’autre. Tassin conclut : « le problème est moins celui de la distance qui sépare que celui du lien qui unit dans la séparation », nous invitant à repenser le lieu commun comme celui d’un « vivre-ensemble qui lie la pluralité des communautés particulières et qui, maintenant les lieux communs dans leurs intervalles et leurs connexions, donne existence à un lieu commun ».
D’autre part, on pourra se demander dans quelle mesure la « crise du lien social » qui caractérise les sociétés contemporaines, notamment anglophones, ou encore l’essor de « lieux communs virtuels » remettent en cause l’existence physique et la vocation socialisante du lieu commun. À l’inverse, comment ces mutations sociales, culturelles ou techniques nous amènent-elles à repenser le vivre-ensemble et la solidarité ? On peut alors penser à l’émergence des « tiers-lieux », espaces au statut encore incertain ou mal défini, souvent animés par des associations, des collectifs et accueillant des espaces et des fonctions très diversifiées, où se développe, à des degrés divers, un sentiment d’appartenance à une communauté. Ces nouveaux lieux, dans leur multiplicité, font apparaître à la fois des formes de socialisation autour du « faire » et du « faire en commun » et des dynamiques de sociabilité qui portent sur l’invention de nouvelles formes du « commun » et de l’« être en commun ». La nature de la relation entre soi et autre, espace privé/public, individualité et communauté demeure au cœur de la réflexion et pourra ainsi être une ligne directrice d’interrogation.
Les membres de l’équipe, et notamment les doctorant.es, sont vivement encouragé.es à participer à cette journée.
Procédure de soumission des résumés
Nous vous invitons à soumettre une proposition de communication orale, en français ou en anglais, lors de cette journée. Cette proposition (titre, nom, résumé d’environ 300 mots) sera envoyée par mail à aliette.ventejoux[at]univ-rennes2.fr
Les textes de communications sélectionnées pourront faire l’objet d’une publication ultérieure dans un volume collectif.
Comité scientifique
- Anne-Laure Besnard
- Valérie Capdeville
- Nicole Cloarec
- Émilie Dardenne
- Anthony Larson
- Claude Le Fustec
- Delphine Lemonnier-Texier
- Hélène Machinal
- Cécile Perrot
- Aliette Ventéjoux
Comité local d’organisation
- Valérie Capdeville
- Émilie Dardenne
- Claude Le Fustec
- Aliette Ventéjoux
Calendrier
Diffusion de l’appel : 28 janvier 2025
Retour des abstracts : 1er avril 2025
Réponse du comité scientifique : 2 mai 2025
Journée d’étude : 16 octobre 2025
Format
La journée se tiendra uniquement en présentiel.
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