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Pour sa deuxième séance, le séminaire doctoral d’ACE « Les imaginaires contemporains » accueillera Matthieu Freyheit, MCF en Études culturelles (Nancy), pour une présentation intitulée « De la zoopolis à la zoogonie : trois pistes pour des vies postanimales ».

 

Avons-nous « rompu avec les bêtes réelles[1] » ? Si nous restons prudents devant la tentation critique de la « rupture », nous observons cependant avec Francis Wolff que les vaches laitières ne boivent plus aux fontaines de nos villages, que les hérissons font de plus en plus le choix des villes contre celui des campagnes, que les hirondelles ne trouvent plus où faire leurs nids sur nos surfaces de verre sans aspérités, enfin que les derniers ours blancs reçoivent autant de larmes symboliques que les « chatons mignons » et autres puppies ne reçoivent de likes sur les réseaux sociaux. S’il fallut souvent mettre en fiction un imaginaire post-apocalyptique pour suggérer un monde littéralement post-humains (débarrassé, du moins partiellement, de ceux-ci), un coup d’œil par la fenêtre ou un détour par une Zone d’Activités Commerciales suggèrent qu’il ne faut pas toujours en passer par là pour nous donner à voir et à éprouver un monde post-animaux.

Le grand mouvement d’anthropisation qui a accompagné le 19e siècle et qui connut un extraordinaire second souffle dans le second 20e siècle a finalement mis les vies animales à l’index de nos désormais très nombreuses « crises ». Parallèlement, de nouvelles façons d’être bête ont émergé au contact de la civilisation anthropique (que nous choisissons volontairement de ne pas appeler ici « anthropocène »), allant du calibre (et du rythme de croissance) des animaux d’élevage (les « porcs usinés » de Jean-Baptiste Del Amo dans Règne animal, 2016) aux meilleurs amis clonés (chiens, en priorité) qui ont succédé à la brebis Dolly en passant par les « créatures de Tchernobyl » de Cornelia Hesse-Honegger. Outre les effrois de l’extinction, notre monde s’est donc également peuplé de post-animaux dont les contours se sont dessinés au contact d’un « milieu » toujours plus technique, quand il ne l’est pas exclusivement (les immenses « hôtels à porcs » chinois).

Cette présentation ne s’attachera pas à une production particulière mais proposera de tirer les fils (notamment théoriques) qu’offre le concept de « postanimal », détournement évident du « posthumain » auquel il souhaite apporter de nouveaux éclairages. Nous postulons en effet que l’environnement technologique, dont l’intimité grandissante a fait émerger les théories consacrées au posthumain par le biais aussi bien de l’hybridité que de la mutation et, plus généralement, de la transgression, ne saurait être appréhendé qu’au regard de ses enjeux directement humains ; que devenant un mode de pensée et d’appréhension du monde, le technologique déplace l’animal lui-même vers des territoires qui lui prêtent de nouveaux contours et, parfois, empêchent de penser l’animal pour et par lui ; que l’appel au franchissement de toutes les frontières impose de questionner la possibilité même du devenir animal. Qu’il y a lieu, enfin, de penser ce que nous appellerons, reprenant Simondon, le « mode d’existence des animaux techniques ».

[1] Francis Wolff, Trois utopies contemporaines, p. 80