Faux et usages du faux : réflexions sur les ouvertures trompeuses de quelques métafilms d’horreur des années 1990
Simon Daniellou – Université Rennes 2
Ironiquement exploitée par Brian De Palma à deux reprises au début des années 1980 (Blow Out en 1981, Body Double en 1984), l’ouverture trompeuse révélant finalement la fabrique d’un film dans le film est un ressort fréquent du cinéma horrifique, en particulier du slasher, depuis au moins Effects (Dusty Nelson, 1979) et Les Frénétiques (The Last Horror Film, David Winters, 1981). Affichant immédiatement les tares les plus souvent reprochées aux métrages d’exploitation (jeu d’acteur maladroit, musique appuyée, effets grandiloquents, érotisme facile, trucages approximatifs…), ces entrées en matière mensongères sont une manière de légitimer en retour l’œuvre à venir, qui ne peut paraître que plus vraisemblable et de qualité en comparaison, au grand soulagement du public après une première… frayeur ! À travers l’étude d’une poignée d’exemples symptomatiques du tournant réflexif du cinéma d’horreur anglo-saxon du milieu des années 1990 tels que Freddy sort de la nuit (Wes Craven’s New Nightmare, Wes Craven, 1994), Témoin muet (Mute Witness, Anthony Waller, 1995) et Urban Legend 2 : Coup de grâce (Urban Legends: Final Cut, John Ottman, 1999), nous souhaiterions ainsi interroger certains présupposés théoriques concernant les modalités de réception que suppose ce genre d’ouvertures. Il s’agira notamment d’analyser le rapport que ces films entretiennent au faux, dont ils semblent paradoxalement se servir comme voie d’accès à une « vérisimilitude du genre » (Neale, 1990), voire à une « vérité de la fic on » (Esquenazi, 2009), tout en l’opposant régulièrement à la véridicité problématique du snuff movie.
Ne Coupez pas ! (Shin’ichirō Ueda, 2017) : Éloge de l’envers
Karim Charrerib – Université Rennes 2
Ne Coupez pas ! (2017) de Shin’ichirō Ueda commence par un plan-séquence de 37 minutes qui ressemble à un film de zombies avant d’en présenter les coulisses, notamment la pré-production et l’envers du tournage. Par ce processus de mise en abîme, ou de contrepoint, le film illustre l’importance de ce que l’on peut appeler le hors-cadre, c’est-à-dire tout ce qui n’appartient pas à l’univers filmique mais est nécessaire à la créa on de l’œuvre (techniciens, plateau de tournage, caméras, etc.). Il y a ainsi différents niveaux de lecture qui se superposent dans l’image, spécifiquement dans le dernier bloc du métrage, et parfois ce qui n’est pas capté par la caméra de Takayuki Higurashi est très envahissant notamment du fait que le genre horrifique nécessite de complexes effets spéciaux. Ce film rend ainsi hommage aux invisibles du cinéma tels les techniciens qui sont les véritables héros rétablissant une situa on qui était en danger, par des pirouettes et roulades, un ballet chorégraphique essayant de ne pas se faire capter par la caméra ou les micros, tels des ninjas de coulisse. Ce film non-filmé que Ne Coupez pas ! imagine pour nous, est ainsi plus proche de la comédie musicale ou du film d’arts martiaux. Il présente aussi une certaine relativisation du star system tant il met en lumière l’arrière-plan (les figurants) et le hors-cadre (l’équipe de production) qui permettent de tenir l’effet de fiction, ce que donnent à voir les images du making-of où les acteurs sont aussi caméramen et preneurs de son.
Cache-sexe, la fabrique du film porno dans le cinéma mainstream
Sébastien Le Pajolec – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Concomitamment à la médiatisation du cinéma pornographique au cœur des années 1970, le tournage de ces films pornographiques est rapidement devenu lui-même un objet filmique notamment dans les œuvres documentaires de Jean-François Davy Exhibition (1975) et Les Pornocrates (1976). Tout au long des cinq dernières décennies la fabrication des films X a également servi de trames narratives à un ensemble disparate d’œuvres françaises comme américaines, : des comédies populaires de Georges Lautner (On aura tout vu, 1976) et de Gérard Pirès (Attention les yeux !, 1975) aux visions rétrospectives de John Byrum (Inserts, 1975) et Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, 1997), sans omettre les ambiances angoissantes d’Un couteau dans le cœur (Yann Gonzalez). Au travers de l’examen de ces réalisations et des discours qu’elles ont suscités, nous proposons d’examiner un imaginaire de la fabrique du X dans des longs métrages qui ne peuvent que la représenter partiellement, afin de ne pas être eux-mêmes classés X. Le vrai et le faux entretiennent ici un double rapport puisque ces œuvres démystifient les « trucs » du sexe filmé tout en ne pouvant filmer le sexe. Outre le dévoilement de dispositifs, c’est bien la question du regard qui est ici posé : que voit-on dans un film porno et que peut-on en montrer ?
Le faux du vrai ? La paradoxale mise en lumière des cascadeurs dans le cinéma hongkongais
Jean-Étienne Piéri – Université Paris-Naterre
Le cinéma d’action hongkongais a longtemps été caractérisé par sa volonté d’enregistrer les capacités du corps, qui a souvent eu pour corollaire l’affirmation de la réalité des exploits physiques accomplis par les comédiens et le rejet plus ou moins explicite du fait de recourir à des doublures et à des cascadeurs. Les génériques de fin des films interprétés par Jackie Chan proposent ainsi un montage des prises ratées des cascades accomplies par la star, afin d’attester de l’authenticité de son engagement physique. Il peut dès lors sembler paradoxal que certains films hongkongais, comme Stunt Woman (Ah Kam, 1996) d’Ann Hui avec Michelle Yeoh, mettent en lumière le travail des cascadeurs. De telles œuvres, en montrant les trucages auxquels recourt le cinéma hongkongais, semblent en effet aller à l’encontre de la manière dont ces films d’action ont souvent été promus, en revendiquant l’authenticité des exploits martiaux ou acrobatiques de leurs interprètes (de Bruce Lee à Donnie Yen, en passant par Jackie Chan ou Jet Li). La démarche d’un film comme Stunt Woman est cependant très éloignée du geste iconoclaste de Quentin Tarantino, dans la scène de Once Upon a Time in… Hollywood (2019) où il montre un cascadeur américain joué par Brad Pitt réduire à néant les prétentions d’artiste martial de Bruce Lee : si ce e scène pouvait être interprétée comme une remise en cause de l’un des fondements du cinéma d’arts martiaux, le film d’Ann Hui ne joue la carte de la démystification que pour mieux mettre en valeur la place centrale qu’occupe l’authenticité de l’investissement physique dans l’esthétique du cinéma hongkongais.
Stargate SG-1/Wormhole X-Treme : jeu(x) de miroirs déformants
Julain Mordelet – Université rennes 2
À l’occasion du cen ème épisode de Stargate SG-1 (MGM Television, 1997-2007), le showrunner et scénariste Bradt Wright propose de s’arrêter quelques instants sur les coulisses de cette série de science-fiction. Dans « Wormhole X-Treme » (Peter DeLuise, S05E12, diffusé le 8 septembre 2001), l’équipe d’explorateurs de SG-1 quitte, le temps d’un épisode, les planètes inconnues et autres conflits galactiques pour enquêter sur un plateau de tournage canadien. Pour cause, l’intrigue de la série tournée dans ces studios, Wormhole X-Treme, comporte de troublantes similitudes avec leurs aventures, bien réelles, pourtant sous le sceau du secret. Emmaillés d’extraits, de making of et de bêtisiers de ce e série dans la série, « Wormhole X-Treme » et sa suite (« 200 », Martin Wood, S10E06, diffusé le 18 août 2006) mettent en scène ceux qui fabriquent Stargate SG-1 dans leurs propres rôles. Comme le film Galaxy Quest (Dean Parisot, 1999), ces deux épisodes remettent en jeu le rapport au réel du spectateur : et si, comme Wormhole X-Treme, Stargate SG-1 n’était qu’une reconstitution ? Réalité et fiction se confondent et interrogent la nature des images présentées : séquences scénarisées, reconstitutions, images prises sur le vif ? Au prisme de ces deux épisodes et de quelques exemples choisis, cette communication se penchera sur la représentation de la fabrique des séries télévisées de science-fiction.