Journée d’études organisée le 24 novembre 2023 par Elisa Carfantan et Jean-Baptiste Massuet
Programme de la journée
Faire du cinéma avec de l’animation – ou l’inverse ? Le statut de la caméra de « prise de vues réelles » dans le cinéma d’animation
Sébastien Denis, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Que peut bien signifier une caméra de tournage de « prise de vues réelles » quand elle est représentée en animation, c’est-à-dire dessinée ou animée image par image ? On s’interrogera dans cette communication sur le statut de cette caméra (qui n’est pas celle du banc-titre, dédiée à l’animation et présente par ailleurs dans d’autres films) dans l’environnement animé, au sein du cartoon américain (où elle apparaît régulièrement), mais aussi dans d’autres contextes, comme en France, en Grande-Bretagne ou en URSS.
Le Congrès d’Ari Folman, une approche prospective du cinéma par l’animation
Marie Cattiaut, animatrice et chercheuse indépendante
Dans Le Congrès, film réalisé par Ari Folman et sorti en 2013 en France, l’utilisation d’une technique d’animation succède à celle de la prise de vue réelle au moment où la narration fait du cinéma quelque chose d’entièrement nouveau et de fondamentalement différent. Ce choix esthétique n’est pas anodin et révèle dans un même mouvement ce que pense l’auteur des mutations que vit le cinéma à l’arrivée des nouvelles technologies numériques, et le rapport d’hétérogénéité existant entre ces deux techniques qu’il utilise. Comprise dans ce contexte, l’utilisation d’une technique d’animation permet à Ari Folman d’exprimer les craintes qu’il partage, en tant que réalisateur, avec de nombreux techniciens du cinéma face aux changements des processus de production des images mouvantes. Elle se fait l’outil prospectif par lequel s’invente le cinéma du futur, un cinéma que la science-fiction débarrasse de ses acteurs et de ses appareils et qui n’existe que par et pour ses spectateurs, au singulier dans leur propre intériorité. Dix ans après la sortie du film et alors que la question de l’utilisation des IA dans l’industrie cinématographique fait débat, on peut se demander si ce savant mélange d’observation, d’alarmisme etde nostalgie qui traverse l’œuvre n’est pas finalement inhérente à l’évolution des techniques qui a traversé l’histoire de ce média.
On tourne ? La fabrique cinématographique comme marqueur du réel dans les dessins animés de Satoshi Kon
Yaël Ben Nun, chercheuse associée de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
Les dessins animés du réalisateur japonais Satoshi Kon (1963-2010) dialoguent constamment avec le cinéma en prises de vues réelles. L’une des manifestations de ce dialogue est la représentation de séquences de tournages dans ses films. Ce dispositif, qui « révèle » le processus de fabrication d’un film, est courant dans le cinéma en prises de vues réelles, notamment pour produire un effet réflexif. Mais quelle signification faut-il lui donner lorsqu’il apparaît dans un dessin animé, réalisé image par image sur une table d’animation ? Les films de Satoshi Kon questionnent ainsi la relation entre les deux médiums, ainsi que notre rapport aux images. Nous proposons d’analyser ce dispositif, tel qu’il est employé par le cinéaste, à travers ses deux premiers longs métrages : Perfect Blue (1997) et Millennium Actress (2001), deux films qui invitent le spectateur dans les coulisses de la production audiovisuelle. Nous chercherons à exposer la manière dont le cinéma en prises de vues réelles se voit attribuer par cette mise en scène une fonction de médiation entre le dessin animé et le réel, tout en contribuant à la mise en place des procédés de trompe-l’œil qui caractérisent l’œuvre de Satoshi Kon.
Revisiter le toon comme corps parasite dans les studios hollywoodiens – La série The Animaniacs en miroir de l’histoire des cartoons consacrés à l’industrie du cinéma
Jean-Baptiste Massuet, Université Rennes 2
Cette communication se propose d’étudier la manière dont un stéréotype de l’histoire du cartoon (un personnage qui sème la panique ou la pagaille dans un studio de tournage de films “traditionnels”) a pu être revisité à une époque où ce parti-pris ne se faisait plus l’écho d’une réalité historique, celle de la marginalisation de ce type de films par rapport aux productions en prises de vues réelles. La série The Animaniacs (Tom Ruegger, 1993-1995) cherche en effet à faire du corps parasite du toon le lieu d’expression d’une forme de cinéphilie qui ne paraît plus vraiment en phase avec la posture critique de films comme You Ought to be in Pictures (Friz Freleng, 1940) ou encore Daffy Duck in Hollywood (Fred Avery, 1938). En mettant en miroir la série des années 1990 et ses prédécesseurs, nous chercherons à interroger les différents usages de ce corps parasite qui témoigne, chaque fois, d’un regard sur Hollywood ancré dans son époque.
L’écran comme ultime lieu de la fabrique cinématographique ? Représentations rotoscopées de la projection, du montage-tournage à la diffusion en salle
Elisa Carfantan, Université Rennes 2
Son procédé consistant à retracer les images d’un film préexistant, la rotoscopie est une technique qui a régulièrement pu être employée en animation pour représenter des diffusions en salle de cinéma. En excluant presque le tournage ou un appareil aussi symbolique que la caméra de sa représentation du cinéma, le corpus constitué par ces usages rotoscopés invite à s’interroger sur la place de la projection dans la fabrique cinématographique. De la cabine de Panique au montage (Olivier Esmein, 1983), où la conception se produit au même niveau que la visualisation du film retracé, à la projection d’un film hollywoodien dans Bacall to Arms (Robert Clampett, 1946), où une scène est parodiée pour correspondre à sa perception par le spectateur-cartoon, il s’agira d’interroger les limites de cette fabrique : le film est-il déjà terminé lorsqu’il est montré ? Si la rotoscopie produit explicitement des images auto-réflexives, la projection – sur un écran comme dans l’esprit du public – n’est-elle pas toujours le lieu ultime de sa fabrication ?