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Nous souhaitons mettre celui-ci au centre de nos débats durant cette journée. Il s’agit d’interroger les interactions entre l’instrument, la matière sonore et le matériau musical, ainsi que la place de l’instrument dans la création numérique.

Orientation générale
Peut-on encore parler de matériau musical au XXIe siècle ?

La catégorie du matériau musical a connu un destin paradoxal au long du XXe siècle. Elle devient en effet un concept central pour tant pour les théoriciens que pour les compositeurs, stimulés par la dialectique adornienne d’une part, et par la possibilité croissante d’appréhender le matériau non plus comme préformé, mais comme à construire, d’autre part (Duchez, 1991) : il s’agit de composer le son et non plus avec le son. Corrélativement, le renouvellement incessant du matériau, après l’érosion du système tonal, entraine un effet de prolifération (Solomos, 1994) qui finit par remettre en question l’effectivité, voire l’existence même de cette notion : si tout est matériau, plus rien n’est vraiment matériau. D’une catégorie appréhendée comme « de l’esprit sédimenté » et « socialement préformée » (Adorno, 1941), on glisse vers une substance aussi impalpable qu’indéfinissable car toujours à réinventer au cœur du son, dont la présence en filigrane dans toutes les Leçons de Boulez au Collège de France tend à montrer la difficulté d’appréhension (Boulez, 2005).

Avant la seconde Guerre Mondiale on pouvait encore affirmer qu’il y a autant de différence entre les sons à la disposition d’un compositeur et le matériau, qu’entre le signifiant et le langage parlé (Adorno, 1941) ; mais c’est bien autour du son lui-même que se resserre progressivement la notion de matériau dans la seconde moitié du siècle (Solomos, 2013). Après l’émancipation du timbre dans la composition, au début du XXe siècle, les technologies permettant une analyse de plus en plus immersive du son, puis sa fabrication intégrale, bouleversent tant le concept d’historicité du matériau que le périmètre de ce qui peut être ou non considéré comme matériau. Dans le répertoire savant, la catégorie de matériau se dissout ainsi progressivement dans des notions comme le geste, l’énergie ou le processus, malgré les tentatives d’en restaurer certains contours, par exemple à travers l’objet sonore ou musical (Schaeffer, 1966, Arbo, 2010), par la recherche d’universaux (Mâche, 1997), ou encore en retrouvant des complexes mélodico-rythmiques identifiables, comme chez Tristan Murail (Vues aériennes) ou György Ligeti (Trio pour violon, cor et piano) à partir des années 1980. Symétriquement, l’explosion des musiques commerciales s’accompagne d’une réification exponentielle du matériau, à travers le ressassement simplifié de schèmes s’inscrivant dans un univers tonal et/ou modal dévitalisé. Le terme même de « dématérialisation », qui culmine à l’ère du numérique, enfonce son coin au cœur de la crise entre sujet et objet symptomatique de la fin du XXe siècle. Le son, désormais, n’est plus seulement électronique, il est encodé, et si l’on gagne encore en souplesse d’utilisation et en possibilités de génération, de transformation et d’agglomération, la matérialité musicale n’a jamais été aussi éloignée. Peut-on dès lors penser certaines esthétiques de l’excès de geste et de matière (Cendo, 2014), au début du XXIe siècle, comme une forme de réaction face au tout virtuel ? Le besoin de créer des instruments virtuels répond-il, par ailleurs, à un besoin de retrouver, dans un univers immatériel, cette matérialité première de la musique dont les instruments sont porteurs ? Doit-on historiciser le concept de matériau, qui lui-même « historicise une composante antérieure et naïve du composant naturel de la musique » (Dahlhaus, 1974) ? Existe-t-il encore une forme de contrainte du matériau dans ce contexte ? Comment penser désormais l’articulation interne de la musique, entre matière, contenu, énergie et forme ? Quelle place reste-t-il pour le matériau, entre technique et technologie ? Telles seront quelques-unes des questions qui seront débattues durant ces journées et qui nourriront un projet éditorial collectif prévu pour 2025.

Le programme s’articulera en trois journées (automne 2023, printemps 2024, automne 2024) consacrées à des thématiques larges. Chaque journée fera l’objet d’un appel à communication et sera ouverte aux doctorants, chercheurs et enseignants-chercheurs qui s’engagent à participer au projet éditorial général. Les propositions d’interventions porteront sur un répertoire et des époques diversifiés.

Programme de la journée

09h30 à 10h : accueil et café

10h à 10h15 : Introduction au programme de recherche et à la thématique de la journée par Joseph Delaplace et Kevin Gohon

10h15 : Vers une musicologie des lutheries numériques : geste, matériau, trace, réseau par Pierre Couprie, professeur des universités, Directeur de l’UFR Langues, Arts, Musique, Université Évry Paris-Saclay, Équipe RASM-CHCSC

11h15 : Points d’interface : zones de transfert entre matériaux musicaux Par Jacob Hart, PhD (Université Huddersfield, UK), post-doctorant à l’Université Rennes 2

11h45 : Les limites de l’instrument ou le cas du sampling : Quand l’instrument de musique devient une relecture d’une composition passée ? Par Christophe Jégard, professeur agrégé d’éducation musicale, doctorant à l’Université
Rennes 2 (Unités de recherche « Arts : pratiques et poétiques » et « Centre de recherche sur l’éducation, les apprentissages et la didactique »)

12h15 : déjeuner

14h : L’instrument comme facteur de résistance du matériau musical : l’historicité́ de la citation musicale par Guillaume Absil, docteur en philosophie esthétique, ATER à l’Université de Lille

14h30 : L’organologie « classique » au prisme de l’organologie générale : vers une redéfinition de l’instrument de musique ? par Alexandre Ayrault, doctorant au laboratoire PRISM, UMR 7061, CNRS / Aix-Marseille Université, Ingénieur du son, ATER à l’Université de Bourgogne

15h00 : Composer l’instrument : matériau et dispositifs musicaux par Vincent-Raphaël Carinola, docteur en musicologie, compositeur, enseignant à l’École Supérieure de Musique Bourgogne-Franche-Comté et à l’Université́ de Saint- Etienne.

15h30 : discussion

16h00 : fin de la journée

Les intervenants

Pierre Couprie est professeur de musicologie à l’université d’Évry Paris-Saclay et chercheur permanent dans l’équipe Recherche en arts, spectacle et musique (RASM) du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC EA2448). Il concentre ses recherches sur la musique électroacoustique et le développement d’outils interactifs pour l’analyse (iAnalyse et EAnalysis) et la performance musicale. Il collabore depuis 2004 avec le Music, Technology and Innovation – Institute for Sonic Creativity (MTI2) de l’université De Monfort (Angleterre) sur des projets de référencement et d’analyse de la musique électroacoustique. En 2015, il obtient le Prix Qwartz Max Mathews de l’innovation technologique pour ses logiciels d’aide à l’analyse musicale. Il est aussi improvisateur électroacousticien au sein de différents collectifs.

Jacob Hart est actuellement chercheur postdoctoral sur le projet MemoRekall à l’Université Rennes 2. Il a obtenu son doctorat en musicologie à l’Université de Huddersfield (Royaume-Uni) en 2021, où il était membre du projet FluCoMa (Fluid Corpus Manipulation) financé par l’ERC. Ses recherches portent sur le suivi du processus créatif des compositeurs techno-fluents et le développement de nouvelles approches de la musicologie computationnelle. Il s’intéresse également à la nature de l’oreille contemporaine, à la ludomusicologie, à l’analyse musicale expérimentale et à la visualisation numérique du son. Il est musicien, codeur créatif et écrivain.

Christophe Jégard a obtenu le CAPES d’éducation musicale et chant choral (2005), et l’agrégation de musique (2021), après ses études de musicologie à l’Université Rennes 2 (DEA en 2004). Saxophoniste confirmé et multi-instrumentiste, il est titulaire d’un DEM de musique de chambre et d’un DEM de formation musicale. Enseignant dans le secondaire depuis 2006, il a dirigé l’orchestre d’harmonie de Saint-Brieuc. Depuis 2022, il est inscrit en doctorat à l’Université Rennes 2, sous la direction de Joseph Delaplace et Jérôme Eneau. Ses recherches portent sur la reprise, l’emprunt et la citation musicale dans les musiques populaires françaises comme force créative des apprentissages de l’éducation musicale des cycles 3 et 4.

Guillaume Absil est docteur en philosophie esthétique et philosophie de l’art de l’Université de Lille. Soutenue sous la direction de Bernard Sève, sa thèse porte sur les pratiques de citation et de réemploi en musique. Actuellement ATER à l’université de Lille, il a été ATER à Tours, Bordeaux et à Evry, ainsi que chargé de cours à l’université de Lille. Agrégé de musique, il est est titulaire d’un Master 2 en Philosophie sous la direction de Didier Franck (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) et d’un Master 2 recherche en Musique et Musicologie sous la direction de Danièle Pistone (Université Paris-Sorbonne). Il est diplômé du CNSMDP et du CRR de Rueil-Malmaison. Il est membre actif du laboratoire « Centre d’Étude des Arts Contemporains » (CEAC), et membre associé du laboratoire « Savoirs, textes langages » (STL) de l’université de Lille.

Alexandre Ayrault est musicien, ingénieur du son et ATER à l’université de Bourgogne. Il poursuit un doctorat en musicologie sous la direction de Vincent Tiffon (PRISM UMR7061-CNRS/AMU). Son mémoire de master Fonction de la tripartition sémiologique chez Jean-Jacques Nattiez d’un point de vue épistémologique (EHESS, dir. Nicolas Donin) a été publié chez l’Harmattan en 2022.

Vincent-Raphaël Carinola est compositeur et musicologue. Il écrit des œuvres pour des formations instrumentales avec ou sans dispositif électroacoustique, des œuvres acousmatiques, pour la scène, des installations sonores, explorant des domaines aussi divers que les processus génératifs, la spatialisation du son, les dispositifs scéniques ou la musique en réseau. Présentées dans de nombreux festivals, ses œuvres ont bénéficié de commandes de différents organismes. En tant que chercheur, ses travaux portent essentiellement sur la place des nouvelles technologies dans la création musicale contemporaine. Il a notamment publié Composition, technologies et nouveaux agencements des  catégories musicales, PUSE, 2022. Il enseigne à l’École Supérieure de Musique Bourgogne-Franche-Comté et à l’Université de Saint-Étienne. Vit et travaille à Lyon et à Dijon.