Antoine Le Métel d’Ouville, Théâtre complet, Tome III, 

La Dame suivante, La Coiffeuse à la mode, Les Morts vivants et Aimer sans savoir qui,

éd. Monica Pavesio et Anne Teulade, Classiques Garnier, collection « Bibliothèque du Théâtre Français », 2020.

Dans la première moitié du XVIIe siècle, un grand nombre de pièces s’inspirent d’œuvres espagnoles ou italiennes. Un des principaux adaptateurs de cette époque fut Antoine Le Métel d’Ouville, qui publia dix pièces de théâtre entre 1638 et 1650.

Dernier volume du Théâtre complet de d’Ouville, après un premier tome consacré aux adaptations de Calderón (M. Pavesio) et un deuxième à celles de Lope de Vega (A. Teulade),  cet ouvrage réunit deux comédies inspirées par Pérez de Montalbán (éditées par Anne Teulade) et deux pièces tirées du théâtre italien (éditées par Monica Pavesio).

Les deux  adaptations de Pérez de Montalbán, La Dame suivante (1645) et La Coiffeuse à la mode (1647) mettent en valeur l’ingéniosité des personnages féminins. Elles témoignent d’un usage exacerbé du déguisement et présentent une évolution, par rapport à leurs sources espagnoles, en ce qu’elles intensifient leurs procédés comiques et opèrent un recentrement sur les pouvoirs de la protagoniste féminine.

La Dame suivante réduit la densité des personnages espagnols à une totale inconsistance éthique et esthétique. Elle investit le versant absolument ludique et euphorique du genre comique, corollaire d’une déréalisation des personnages et d’une exhibition de l’irréalité du monde représenté, d’autant plus que la protagoniste n’est confrontée à aucun obstacle : ses agissements sont totalement gratuits. L’édition montre que d’Ouville prend le parti de l’artifice en faisant de son héroïne une figure de dramaturge qui incarne un art théâtral versé dans l’élaboration de fictions éblouissantes et plaisantes, sans aucune utilité morale ou sociale. À travers elle, le dramaturge français valorise un art dramatique indexé sur le principe de plaisir.

La Coiffeuse à la mode reprend cette perspective métafictionnelle mais n’exploite pas  la comedia espagnole dans le même sens. Loin de réduire la substance de sa source et de fragiliser la vraisemblance de ses personnages en les ramenant à une versatilité extrême qui leur ôte toute profondeur comme La Dame suivante, elle densifie au contraire l’univers représenté en mettant l’accent sur l’évolution des sentiments et la construction des caractères. L’édition montre en effet que les obstacles à l’amour y sont intérieurs, et que les inventions fictionnelles de la femme deviennent une occasion d’apprentissage et de dépassement de ses blocages. La mise en scène de l’évolution des caractères grâce à la traversée de la fiction, corollaire de l’édulcoration des enjeux sociaux et moraux de la source espagnole, constitue un déplacement vers la construction de parcours individuels. Les personnages féminins cessent de constituer des types, pour accéder à la profondeur de véritables caractères, confrontés à l’exploration de leurs sentiments et de leurs contradictions. Si La Dame suivante exploite l’artificialité de l’univers comique à des fins métafictionnelles, La Coiffeuse à la mode constitue un prélude aux comédies de la seconde moitié du XVIIe siècle, en approfondissant la singularité de ces personnages et en récusant le type et la convention, au profit de l’exploration d’un processus de saisie du personnage par lui-même. Sur ces deux points, d’Ouville annonce évidemment la pratique de Molière, tant en ce qui concerne la revendication d’une poétique du plaisir (dans La Critique de l’École des femmes) que pour la constitution des caractères (notamment dans L’École des femmes qui met en scène l’avènement du personnage féminin).

Les deux pièces à source italienne, Les Morts Vivants (1646) et Aimer sans savoir qui (1647), sont deux tragi-comédies également attachées à la mise en abyme des pouvoirs du théâtre. Maniant déguisement, fausses morts et apparences trompeuses, elles s’emparent des sujets italiens pour déconstruire le processus théâtral.